jeudi 18 avril 2024

Cobaye malgré soi..

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Pierre Pestieau


Dans les sciences sociales comme dans les sciences médicales, il est d’usage de tester l’efficacité d’un médicament, d’un vaccin ou d’une politique publique en comparant deux groupes dans la population. Le premier groupe bénéficie d’un traitement, qui peut être la prise d’un médicament ou l’introduction d’une nouvelle approche éducative, alors que le second ne bénéficie pas de ce traitement. On parle ainsi de groupe traité et de groupe de contrôle. Il est indispensable que ces deux groupes aient les mêmes caractéristiques et ne se distinguent que par le recours ou non à ce traitement.

En comparant l’impact du traitement entre les deux groupes, on peut évaluer son efficacité. Si en moyenne le niveau de connaissance ou la qualité de la santé s’avère meilleur dans le groupe traité que dans le groupe contrôle, on dira que le traitement est efficace et que, de ce fait, il peut être appliqué ailleurs.

Mon problème avec cette approche est qu’en général on ne choisit pas le groupe auquel on appartient. Or, chacun aimerait pouvoir le choisir en fonction de ses informations, de sa préférence pour le risque et de diverses autres caractéristiques. Dans le cas le plus probable, on l’espère, où le traitement réussit, tous ceux qui appartiennent au groupe de contrôle se sentiront légitimement frustrés. Dans le cas, où le traitement est un échec, ce sont les membres du groupe traité qui auraient tout lieu de se sentir lésés.


On notera que les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît dans la mesure où nous sommes dans un monde d’incertitude. Même si un traitement est en moyenne une réussite, il y aura des gens traités pour lesquels il ne marchera pas : des personnes vaccinées seront malades ou des élèves ayant bénéficié d’une pédagogie innovante échoueront. 

On pourrait me retorquer que sans ces expériences dites contrôlées on freinerait le progrès. Il existe beaucoup de cas où les gens acceptent sciemment de jouer les cobayes. On pense notamment au malade du cancer qui accepte de recevoir un traitement qui est encore au stade expérimental. Ou encore aux pilotes d’essai qui testent la fiabilité de nouveaux avions supersoniques. Dans les expériences contrôlées pharmaceutiques, les participants doivent donner leur accord, ce qui n’est pas le cas des souris qui les ont précédés dans la mise au point du traitement. Il demeure qu’ex post, si le traitement marche, le groupe traité sera mieux loti que le groupe de contrôle, ce qui peut être ressenti comme injuste. Une solution serait de permettre aux individus de choisir d’appartenir au groupe traité ou au groupe de contrôle en leur expliquant les enjeux et les risques de l’expérience.

On remarquera que le problème ne se pose pas dans le cas d’expériences naturelles dans lesquelles l'assignation aléatoire au traitement est provoquée par des causes naturelles et/ou politiques. On oppose ainsi les expériences naturelles aux expériences contrôlées. Dans celles-ci, l'assignation au traitement est aléatoirement déterminée pour les besoins de l'étude (1).


Il existe des expériences sauvages dont l’impact est bien plus sérieux que celui des expériences contrôlées. J’entends par là des mises sur le marché de médicaments dont les effets désastreux ne se révèleront que lorsqu’il est trop tard. Les exemples ne manquent pas. On pense notamment aux scandales du softenon ou du médiator. Dans ces cas-là, il a fallu des morts ou des handicaps lourds pour se rendre compte de la nocivité du traitement. Comme on le sait les victimes de ces imprudences criminelles sont rarement indemnisées et si elles le sont, c’est généralement insuffisant au vu de la perte encourue.





(1). Que les expériences soient naturelles ou contrôlées, elles sont évaluées en recourant à la méthode des doubles différences (ou diff-in-diff). C’est là une méthode statistique consistant à comparer la différence entre le groupe de contrôle et le groupe traité avant et après l'introduction du traitement. Cette méthode est notamment utilisée dans l’évaluation des politiques publiques ou des médicaments nouveaux.

jeudi 11 avril 2024

Existe-t-il encore des visiteurs dans les musées de Gaza, des blessés dans les hôpitaux de Gaza ? La ville de Gaza elle-même existe-t-elle encore ?

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Victor Ginsburgh

Intérieur dans un Musée de Gaza

Ce musée d’art semble survivre, comme survivent les quelques palestiniens qui le visitent encore. Sur un grand mur, plus de cent artistes gazaouis ont exposé leurs œuvres tristes aux visiteurs tout aussi tristes. Au sol, de vrais débris, ou peut-être une œuvre qui représente des débris autour desquels les « visiteurs » peuvent se promener, comme si la ville détruite n’y ressemblait pas.

Sur le mur bleu qui fait penser au ciel et à la mer de Gaza, des tableaux qui évoquent la vie, mais aussi la mort. On y voit des cactus, des instruments de musique, des chats, des vaches, et même une femme-chat, un personnage de fiction de l’univers Batman. Tout cela pendant qu’un drone israélien “vole” au-dessus des œuvres et de leurs visiteurs, pour être sûr que ces derniers soient bien surveillés, voire éliminés (1).

Le 15 mars dernier, j’ai essayé de voir plus que ce qui figure sur la photographie de l’intérieur du musée. Inutile de dire que je n’ai pas pu y avoir accès. Il n’y a pas que des gazaouis qui meurent, mais aussi leurs œuvres et sans aucun doute les murs de leur musée.

Un des musées de Gaza

Et voici un autre type de destruction. Cette fois-ci il s’agit du plus grand hôpital de Gaza (Al-Shifa). Un peu plus compliqué, puisque les pauvres soldats israéliens ont été obligés d’y mettre deux semaines…

Ce qui reste après deux semaines du plus grand hôpital de Gaza

Par ailleurs, si l’on peut dire, “le chef du renseignement militaire israélien a déclaré que des jours complexes les attendent et qu’il n'est pas certain que le pire soit derrière eux dans la guerre, sans préciser s'il parlait de Gaza ou de la frontière israélo-libanaise” (2). Pauvre Netanyahou qui doit penser à tout… Heureusement il y a pensé. Voici comme toujours, dans la soie :

"Les étages du service de chirurgie ont été laissés ouverts au vent, les murs ont été soufflés et l'équipement enseveli sous des monticules de débris. Le pont reliant les deux bâtiments n'est plus là, et l'esplanade qui les séparait - autrefois une allée circulaire s'enroulant autour d'un belvédère - a été transformée par des véhicules blindés israéliens en un terrain vague d'arbres déracinés, de voitures renversées et d'une ambulance à moitié écrasée" (3).

La Ville Détruite me fait penser à l’œuvre que l’artiste franco-russe Ossip Zadkine (1890-1967) avait consacré à la ville de Rotterdam dont le centre médiéval avait été détruit par le bombardement allemand du 14 mai 1940.

La Ville Détruite

Où est l’artiste (juif, comme Zadkine) qui aura le courage d’en faire de même quand Gaza n’existera plus?






(1). Simon Pierre, Mosquées, églises, musées... Le patrimoine culturel de Gaza ravagé par le conflit israélo-palestinien, 29 décembre 2023 et Caitlin Procter, Israel is systematically destroying Gaza’s cultural heritage, March 3, 2024.

(2). Emanuel Fabian, Le chef des renseignements aux soldats : Israël est confronté à ‘des jours complexes’, il n’est pas certain que le pire soit derrière nous, The Times of Israel, 4 avril 2024.

(3). Patrick Kinglsey, Israeli army withdraws from major Gaza hospital, leaving behind a wasteland, The New York Times, April 2, 2024.