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Focus 15 - Décembre 2014

L'électricité à quel coût pour la société ?

Il y a peu, la presse s'est faite l'écho d'une étude réalisée pour la Commission européenne sur le coût de la production d'électricité par différentes technologies (voir le communiqué de presse de la Commission; l'étude est accessible ici). Cette étude comparait la production par le nucléaire, le gaz, le charbon, l'éolien terrestre, l'éolien en mer et le solaire. Elle présentait le coût de production en tant que tel (le coût privé), le coût externe (le coût pour la collectivité lié à la pollution), et le coût des subventions publiques.

La lecture de cette étude m'a d'abord fait bondir de joie, puis elle m'a carrément renfrogné. Cette étude avait le mérite de révéler au public le coût réel de la production d'énergie électrique grâce à la prise en compte des coûts externes. Malheureusement, la prise en compte des subventions dans ce calcul invalide la comparaison effectuée entre les différentes technologies car elle constitue une erreur méthodologique grossière.

Les économistes ont depuis longtemps expliqué que le coût d'une activité pour la société n'est pas seulement le coût privé (le coût de production pour la firme qui en assure la production) mais aussi les coûts dits «externes», c'est-à-dire les coûts supportés par d'autres individus dans la société et qui ne sont pas pris en considération par le marché. Parmi ces coûts externes, ceux inhérents à la pollution sont essentiels. Produire de l'électricité n'est pas anodin et chaque technologie provoque ses propres coûts externes. Quantifier ces coûts n'est pas chose aisée et les chercheurs s'y attèlent depuis de nombreuses années. Au regard des coûts externes, la production au charbon est la pire (en raison des particules fines et du CO2 émis) et l'éolien est le meilleur. La prise en compte des risques liés au nucléaire est très imparfaite dans ces méthodes qui appréhendent surtout les impacts sur la santé. Malgré toutes ces difficultés bien connues, prendre conscience de ces coûts pour la société et essayer de les évaluer est crucial, et j'étais donc ravi.

Mais j'ai vite déchanté en découvrant que l'étude ajoutait à ces coûts privés et environnementaux le montant des subventions reçues. Il s'agit-là d'une grossière erreur. Le coût pour la collectivité d'une subvention n'est pas le montant d'argent donné mais le coût d'opportunité de cet argent, un concept fondamental en économie. Le coût d'opportunité, c'est le coût d'avoir prélevé cet argent quelque part dans l'économie, c'est-à-dire les bénéfices potentiels qui ont été ainsi perdus pour la collectivité. Un subside, c'est juste de l'argent qu'on prend quelque part pour le dépenser ailleurs. La question est donc de savoir s'il a été bien utilisé, du point de vue sociétal, et donc de le comparer à ses usages potentiels alternatifs. Là aussi, les économistes se sont échinés depuis des années à évaluer ce coût d'opportunité. A l'instar des coûts externes évoqués ci-dessus, la tâche est redoutablement complexe, tant pour des raisons théoriques qu'empiriques. Disons qu'un ordre de grandeur généralement accepté est de 1,2. Autrement dit, 1 euro dépensé en subside coûterait 0,2 euro à la collectivité.

A ce compte, l'étude sur le coût de la production d'électricité réalisée pour la Commission européenne devrait être revisitée de la manière suivante : le charbon est le plus cher pour la collectivité, le solaire et l'éolien en mer s'alignent sur le nucléaire et le gaz, tandis que l'éolien sur terre est le moins cher.

Au-delà de cette étude, la justification des subventions dans le secteur de la production d'énergie est une question qui mériterait d'être soulevée. Il est légitime de subventionner un mode de production si l'on pense qu'il engendre des bénéfices pour la collectivité qui ne sont pas pris en compte par le marché (externalités positives). Par exemple, pour soutenir une filière émergente où les économies d'échelle ne sont pas encore présentes ou une filière moins polluante mais plus coûteuse. La justification sociétale de tels subsides est donc une question complexe. C'est une question qui mériterait d'être mieux étayée dans le débat public.

A l'heure où la transition énergétique est en marche (voulue ou subie), le marché de l'électricité se prépare à affronter une mer bien agitée. Davantage de transparence et de justification dans les choix sociétaux ne ferait donc pas de mal. Autrement dit, un peu plus de lumière.

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