Focus 12 - Février 2014

La zone d'économie urbaine stimulée (ZEUS) suffira-t-elle à dynamiser
le canal de Bruxelles ?

Afin de redynamiser la zone du Canal, caractérisée par un taux de chômage élevé et un faible revenu de ses résidents, le gouvernement bruxellois a décidé d'offrir des incitants financiers aux entreprises venant s'y installer : extension des aides à l'investissement (la Région bruxelloise pouvant prendre en charge jusqu'à 35 % du coût de ces investissements), aides à l'embauche (avec des subventions pouvant aller jusqu'à 30 % du salaire brut) et, enfin, exemption partielle de la taxe sur les surfaces de bureau (taxe communale pesant sur les entreprises industrielles, commerciales et agricoles). Pour bénéficier de ces aides, les entreprises doivent toutefois respecter une «clause d'embauche locale» : 30 % de leur personnel doit résider dans la zone d'économie urbaine stimulée (ZEUS), qui couvrira plusieurs quartiers le long du Canal, d'Anderlecht à Schaerbeek.

La logique de cette politique est claire et n'est pas entièrement nouvelle : si certaines zones sont caractérisées par un fort taux de chômage, et si les résidents de ces zones ne veulent pas ou ne peuvent pas se déplacer jusqu'aux emplois, alors les pouvoirs publics doivent amener les emplois vers ces résidents. C'est ainsi que la Région wallonne a créé en 2006 des zones franches urbaines et rurales (au nombre de 24 et 52 respectivement). Les entreprises localisées dans les 76 communes désignées comme zones franches bénéficient d'une majoration des aides à l'expansion économique et aux infrastructures d'accueil des activités économiques (ateliers de travail partagé, incubateurs, voierie etc.). Il s'agit ainsi de compenser le déficit d'attractivité de certaines zones par des incitations financières.

La ZEUS bruxelloise est un peu différente des zones franches wallonnes car elle touche certains quartiers spécifiques au sein des différentes communes bordant le Canal, et non les communes entières. Elle est en ce sens plus proche des «zones franches urbaines» (ZFU) mises en place depuis la fin des années 1990 en France ou des «enterprise zones» créées depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980 en Angleterre et aux Etats-Unis.

De nombreux économistes ont cherché à évaluer les effets des ces politiques spatialement ciblées aux Etats-Unis, en France et en Angleterre. Quels enseignements tirer de ces travaux pour le cas bruxellois ? Si les résultats sont variables d'une étude à l'autre, en fonction des zones évaluées et des méthodes utilisées notamment, un certain nombre de résultats convergents invitent à la prudence quant à la manière dont ces politiques sont mises en œuvre et aux attentes que l'on y place.

  1. Lorsque ces politiques ont un impact positif sur l'implantation de nouveaux établissements et sur la croissance de l'emploi local, il est possible que cet effet provienne de purs effets de déplacements. Ainsi, dans une étude récente sur les ZFU françaises, Mayer et al. (2013) ne trouvent aucun impact des zones franches sur le nombre d'entreprises décidant de se localiser dans une commune. Ils mesurent en revanche un accroissement de la probabilité qu'un établissement se localise dans la partie aidée plutôt que dans la partie non aidée de cette commune. Les gains en termes d'attractivité pour la zone franche se font donc au détriment de sa périphérie immédiate, à travers notamment des relocalisations d'établissements déjà existants. Des résultats similaires sont obtenus par Einiö et Overman (2011) pour le Royaume-Uni et Hanson et Rohlin (2012) pour les Etats-Unis.
  2. L'impact des zones franches est d'autant plus fort que le handicap initial des quartiers soutenus est faible. Mayer et al. (2013) trouvent ainsi que la probabilité de se localiser dans la ZFU plutôt que dans le reste de la commune augmente d'autant plus que la partie aidée souffrait au départ d'un déficit d'attractivité faible. Briant et al. (2012), toujours sur les ZFU françaises, montrent que l'effet de la politique est plus important pour les zones qui sont moins enclavées spatialement au sein de la commune (présence de transports en commun, absence de coupures urbaines).
  3. Même lorsqu'il y a un effet positif sur le nombre d'établissements ou d'emplois dans les zones aidées, cet effet ne bénéficie pas nécessairement aux résidents de ces zones. Pour les Etats-Unis comme pour la France, les résultats des travaux étudiant l'impact des politiques de zones franches sur le chômage des résidents sont ainsi assez contrastés. Gobillon et al. (2012) trouvent par exemple que les ZFU françaises permettent aux résidents de ces zones de sortir un peu plus rapidement du chômage, mais dans des proportions très modestes et dans le court terme uniquement. Charlot et al. (2012) montrent par ailleurs que la composition socio-économique de la population des zones franches ne s'améliore pas suite à la mise en place des aides. En effet, les résidents trouvant un emploi ou dont le revenu s'accroît tendent généralement à quitter ces quartiers dès qu'ils le peuvent, tandis que les nouveaux arrivants appartiennent à des groupes socio-économiques plus défavorisés.
  4. Les établissements que ces politiques réussissent à attirer sont souvent de petite taille et très mobiles. Mayer et al. (2013) trouvent ainsi qu'un des secteurs pour lequel l'effet est le plus fort est le secteur des professions médicales, suggérant des relocalisations de cabinets médicaux et d'infirmières pour de pures raisons d'optimisation fiscale, et sans grande perspective d'emploi pour les résidents. Givord et al. (2012), montrent par ailleurs qu'après quelques années, les créations d'entreprises dans les ZFU françaises sont compensées par un nombre accru de relocalisations hors de la zone franche ou de cessations d'activités. Bondonio et Greenbaum (2007) ont aussi montré aux Etats-Unis que ces politiques ciblées pouvaient attirer de nouveaux établissements au détriment des établissements déjà présents.

Au final, même si ces politiques de zones franches attirent de nouveaux établissements dans les zones visées, l'impact sur l'emploi des résidents n'a rien d'automatique. En effet, les compétences dont ont besoin ces entreprises ne sont pas nécessairement présentes localement. Par ailleurs, ces établissements, souvent de petite taille, ont déjà leurs propres employés et ne vont pas s'en séparer pour embaucher des résidents. Il faut par ailleurs noter que les travaux existants montrent que les coûts de telles politiques sont souvent élevés par rapport à leurs bénéfices.

Renforcer la clause d'embauche locale ne serait pas à cet égard d'une grande aide. Cela risquerait au contraire de décourager les entreprises de s'installer dans la zone franche et de limiter les effets éventuellement positifs de la politique pour la redynamisation du quartier, au-delà de son impact sur l'emploi des résidents. En revanche, articuler la mise en place des zones franches avec une réflexion sur la formation des résidents est fondamental : il est en effet indispensable de mettre en adéquation les compétences disponibles localement et les besoins des entreprises que l'on attire par ces politiques.

 

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