jeudi 5 juin 2025

Les enfants de Gaza meurent de faim

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Catherine Russell, Directrice générale de l'UNICEF (*) , The NewYork Times, 29 mai 2025



Le matin du 15 mai, Miran Mohammad aidait son grand-père à faire du pain chez lui à Beit Lahia, une ville du nord de Gaza. Compte tenu de la rareté de la nourriture, Miran, âgée de 7 ans, avait faim et était impatiente d'avoir un morceau de pain fraîchement cuit. Elle n'en aura pas l'occasion.


La mère de Miran a insisté pour qu'elle attende que la famille rentre chez elle avant de manger. Alors qu'ils entraient dans leur maison, une frappe aérienne, s'effondrant sur eux leur cause de graves blessures.


Miran est maintenant une patiente de l'hôpital arabe Al-Ahli ; les médecins nous disent que ses jambes sont endommagées de façon permanente. Elle est l'une des 3.700 enfants de moins de 18 ans qui auraient été blessés à Gaza depuis la fin du récent cessez-le-feu. Plus de 1.300 autres enfants auraient été tués dans les hostilités au cours de la même période. En vingt mois de guerre, près de 17.000 enfants auraient été tués et plus de 34.000 blessés, soit environ un enfant sur 20 à Gaza, ce qui en fait le conflit le plus meurtrier qui a touché les enfants de mémoire récente.



Le sort des enfants de Gaza ne manquera pas de s'aggraver. Selon la dernière analyse de la Classification intégrée de la sécurité alimentaire, un outil utilisé par l'UNICEF et ses partenaires pour évaluer la sécurité alimentaire et la malnutrition, l'ensemble de la population de Gaza est désormais confrontée à une insécurité alimentaire aiguë. Près d'un demi-million de personnes sont au bord de la famine. On estime que plus de 71.000 enfants et 17.000 mères souffriront de malnutrition aiguë, caractérisée par une perte de poids rapide et un faible rapport poids/taille, au cours des 10 prochains mois, en l'absence d'une aide humanitaire et d'un traitement insuffisant.


L'UNICEF et ses partenaires font tout leur possible pour y répondre. Pourtant, en raison du blocus de l'aide d'Israël qui se prolonge depuis deux mois, les stocks sont extrêmement limités à Gaza. À moins que nous ne retrouvions un accès sûr et durable à Gaza d'autres enfants souffriront.


Avant la reprise des hostilités, les Nations Unies on mis en place un vaste et efficace système d'acheminement de l'aide à l'intérieur de Gaza. Au cours du récent cessez-le-feu, nous avons fourni de l'aide sous forme de vaccins et de médicaments essentiels, de services nutritionnels vitaux et d'accès à de l’eau potable dans 400 points de distribution. L'UNICEF et ses partenaires sont allés encore plus loin, en acheminant de l'aide de porte à porte, atteignant les enfants souffrant de malnutrition et les femmes enceintes dans leurs lieux de refuge.

 

Ce vaste système est maintenant mis de côté, et nos activités ont été considérablement réduites. La Fondation humanitaire pour Gaza acheminerait l'aide à travers quelques points de distribution dans le sud de Gaza qui ont été sécurisés sur place  par des entrepreneurs privés américains et des soldats israéliens se tenant à l'extérieur du périmètre. Le fait de disposer d'un nombre limité de sites de distribution obligera les civils à se déplacer loin de chez eux, ce qui les exposera à la violence.


Selon les autorités israéliennes, ces sites de distribution d'aide sont alimentés par 60 camions par jour – un dixième du nombre de camions qui se rendent à Gaza pendant le récent cessez-le-feu – et distribuent des boîtes familiales, une aide alimentaire destinée à répondre aux besoins minimaux de survie. Mais notre équipe sur le terrain signale que ces boîtes sont très insuffisantes pour assurer le bien-être des enfants. Ce plan ne peut pas soutenir une population de 2.1 millions de personnes, dont plus d'un million d'enfants.


Nous pensons que ce nouveau mécanisme est incompatible avec les principes humanitaires, notamment la neutralité, l'impartialité et l'indépendance. De plus, il ne respecte pas les obligations d'Israël en vertu du droit international. 


De plus, étant donné que le nouveau système prévoit la présence de services de sécurité dans les sites de distribution, on craint que ces endroits seront perçus comme des objectifs militaires. Le personnel humanitaire et les civils cherchant de l'aide sur ces sites pourraient donc être exposés à des attaques.


Israël a défendu le nouvel effort de distribution comme un moyen d'empêcher le Hamas de voler des fournitures. Mais l'ONU et ses partenaires savent déjà comment faire inspecter, dédouaner, décharger et livrer l'aide humanitaire, sans détournement, sans retard et dans la dignité.


Notre aide peut être suivie du point d'inscription au point de livraison. Avec nos partenaires, nous accompagnons nos approvisionnements jusqu'à la fin. Notre nourriture parvient à l'enfant mal nourri. Nos vaccins vont dans le bras d'un enfant. Et nous sommes transparents sur les sources de financement de nos programmes d'aide.


Ce dont nous avons besoin, c'est que l'UNICEF et ses partenaires humanitaires soient autorisés à faire leur travail. Nous avons prouvé que les produits essentiels comme les médicaments, les vaccins, l'eau, la nourriture et la nutrition pour les bébés peuvent atteindre les personnes en détresse, où qu'elles se trouvent, lorsque nous y avons un accès libre et sûr.


Nous ne demandons pas l'impossible. Nous demandons que le droit international humanitaire soit respecté et appliqué ; pour un retour à la filière d'aide fonctionnelle dirigée par l'ONU avec un accès humanitaire sûr et durable par tous les points de passage disponibles ; pour le retour de tous les otages restants ; et pour le Hamas et Israël d'accepter un cessez-le-feu durable.


Si ces mesures sont prises, nous pouvons commencer un chemin hors des ténèbres de la guerre pour tous les enfants de Gaza et d'Israël touchés par cette guerre. J'exhorte toutes les parties et tous ceux qui ont de l'influence sur elles à nous laisser faire, ainsi qu'à nos partenaires humanitaires, notre travail. L'alternative risque de militariser l'aide humanitaire et condamnerait très probablement les enfants de Gaza à plus de souffrance et de morts. 


Voir https://www.unicef.org/press-releases/unimaginable-horrors-more-50000-children-reportedly-killed-or-injured-gaza-strip

 

(*) Catherine Russell est la directrice exécutive de l'UNICEF. Elle a été ambassadrice itinérante pour les questions féminines mondiales au département d'État sous l'administration d’Obama.

mercredi 28 mai 2025

Le Titanic

1 commentaire:

Pierre Pestieau

Il y a plusieurs décennies, l’économiste Kenneth Boulding comparait la Terre à un vaisseau spatial. Aujourd’hui, elle évoque plutôt un Titanic dystopique. À peine embarqués, les passagers apprennent que le navire fait cap vers une catastrophe inévitable. Elle surviendra dans quinze jours, sans espoir de survivants. Aucun retour en arrière n’est possible. Comment réagiraient-ils face à une telle condamnation annoncée ?

Dans une situation aussi extrême que désespérée, les réactions seraient probablement aussi variées que les personnalités à bord. Certains sombreraient dans le déni, d’autres dans la panique, la résignation ou la spiritualité.

Sous le choc, beaucoup refuseraient d’accepter la réalité. Ils chercheraient à vérifier l’information, espérant une erreur ou un miracle de dernière minute. D’autres céderaient à la panique, manifestant leur angoisse de façon désordonnée, dans une quête frénétique de solutions inexistantes. La peur de la mort imminente pourrait engendrer des comportements irrationnels, parfois violents, souvent désespérés.


Certains, plus lucides ou fatalistes, accueilleraient leur sort avec calme. Ils chercheraient à vivre leurs derniers instants avec dignité, en paix, se rapprochant de leurs proches pour des adieux empreints d’émotion. D’autres encore se réfugieraient dans la prière ou la méditation, puisant du réconfort dans la foi. Des rassemblements spirituels naîtraient spontanément, dans un élan collectif vers l’apaisement.

Enfin, une partie des passagers choisirait de faire la fête jusqu’au bout, dans un ultime sursaut de vitalisme ou un déni joyeux. Concerts improvisés, éclats de rires, musiques et danses viendraient masquer, pour un temps, la peur, dans une ultime tentative d’oublier l’inéluctable.

Bien sûr, notre planète ne se confond pas avec ce Titanic imaginaire. La collision avec l’iceberg fatal ne surviendra sans doute pas avant plusieurs décennies, voire siècles. Mais l’échéance pourrait s’accélérer si de plus en plus d’individus, convaincus de l’inefficacité de leurs gestes — qu’ils soient individuels (tri des déchets, réduction des vols, etc.) ou collectifs (taxe carbone, interdiction des pesticides, etc.) — choisissent de vivre au présent en renonçant à toute forme d’engagement. Ce carpe diem défait alors les efforts de protection de l’environnement.


Et si, vraiment, la Terre ne pouvait plus être sauvée — si notre sort était scellé, irrémédiable — ne serait-il pas légitime de se demander : pourquoi continuer à lutter ? Pourquoi ne pas simplement vivre, profiter de ce qu’il reste, savourer l’instant comme une ultime danse avant l’effondrement ? Cette tentation est compréhensible. Pourtant, agir, même dans la perspective d’un échec annoncé, peut être un acte de dignité. Comme dans le mythe de Sisyphe réinterprété par Camus : pousser son rocher, en pleine conscience de l’absurdité du geste, c’est encore affirmer sa liberté.

Oui, il est pertinent — et même éclairant — de comparer la trajectoire actuelle de notre planète, à la lumière des prévisions alarmantes sur le climat, à celle du Titanic.

Comme le Titanic, considéré à son époque comme un sommet de l’ingénierie humaine et réputé insubmersible, notre civilisation progresse avec confiance, portée par la technologie et la croissance. Pourtant, dans les deux cas, les menaces sont visibles : le Titanic a ignoré les alertes concernant les icebergs ; l’humanité, malgré l’accumulation de preuves accablantes, tarde à réagir de manière décisive face au changement climatique. Dans les deux cas, les signaux d’alarme ont été minimisés, et les réponses, trop lentes ou insuffisantes.