jeudi 22 mai 2025

Lettre n° 439 (*)

1 commentaire:

Il s’agit d’une des nombreuses lettres que Napoléon à écrites à son épouse Joséphine, lorsqu’il était en guerre, je ne sais pas trop où (en Belgique peut-être...)  Je n’ai pas pu résister de vous la transmettre. Elle est magnifique comme le sont sans doute beaucoup d’autres lettres de Napoléon (Victor Ginsburgh).

Le général Bonaparte (en guerre) à son épouse Joséphine, 1796

Je n’ai pas passé un jour sans t’écrire ; je n’ai pas passé une nuit sans te serrer entre mes bras ; je n’ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de ma vie. Au milieu des affaires, à la tête des troupes, en parcourant les camps, mon adorable Joséphine est seule dans mon cœur, occupe mon esprit, absorbe ma pensée. Si je m’éloigne de toi avec la vitesse du torrent du Rhône, c’est pour te revoir plus vite. Si, au milieu de la nuit, je me lève pour travailler encore, c’est que cela peut avancer de quelques jours l’arrivée de ma douce amie, et cependant, dans ta lettre du 23, du 26 ventôse, tu me traites de vous [souligné deux fois]. Vous toi-même. Ah ! mauvaise ! comment as-tu pu écrire cette lettre ? qu’elle est froide ! Et puis du 23 au 26 restent quatre jours ; qu’as-tu fait, puisque tu n’as pas écrit à ton mari ? Ah ! mon amie, ce vous et ces quatre jours me font regretter mon antique indifférence. Malheur à celui qui en serait la cause ! Puisse-t-il, pour peine et pour supplice, éprouver ce que la conviction et l’évidence qui servit ton ami, me ferait éprouver ! L’enfer n’a pas de supplice, ni les furies de serpent !… Vous! Vous! Ah ! que sera-ce dans quinze jours ?… Mon âme est triste ; mon cœur est  esclave, et mon imagination m’effraie… Tu m’aimais moins, tu seras consolée. Un jour tu ne m’aimeras plus ; dis-moi-le, je saurai au moins mériter le malheur… Adieu, femme, tourment, bonheur, espérance et âme de ma vie, que j’aime, que je crains, qui m’inspire des sentiments tendres qui m’appellent à la nature, à des mouvements tempestueux aussi volcaniques que le tonnerre. Je ne te demande ni amour éternel ni fidélité, mais seulement… vérité, franchise sans bornes. Le jour que tu me diras : je t’aime moins, sera ou le dernier de mon amour ou le dernier de ma vie. Si mon cœur était assez vil pour aimer sans retour, je le hacherais avec les dents. Joséphine ! Joséphine ! souviens-toi de ce que je t’ai dit quelquefois : la nature m’a fait l’âme forte et décidée ; elle t’a bâtie de dentelle et de gaze. As-tu cessé de m’aimer ! ! Pardon, âme de ma vie, mon âme est tendre sur de vastes combinaisons. Mon cœur, entièrement occupé par toi, a des craintes qui me rendent malheureux. Je suis ennuyé de ne pas t’appeler par ton nom. J’attends que tu me l’écrives.

Adieu ! Ah ! si tu m’aimes moins, tu ne m’aurais jamais aimé. Je serais alors bien à plaindre.

 

P.S. La guerre, cette année, n’est plus reconnaissable. J’ai fait donner de la viande, du pain, des fourrages ; ma cavalerie armée marchera bientôt ; mes soldats me montrent une confiance qui ne s’exprime pas : toi seule me chagrine, toi seule, le plaisir et le tourment de ma vie. Un baiser à tes enfants, dont tu ne parles pas. Pardi ! Cela allongerait tes lettres de la moitié ; les visiteurs, à dix heures du matin, n’auraient pas le plaisir de te voir.

Femme ! ! !

 

(*) Voir Henri Foljambe Hall: Projet Gutenberg, Lettres de Napoléon à Joséphine, 1796-1812

et https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/lettre-du-general-bonaparte-son-epouse-josephine-10-germinal-iv-30-mars-1796/#:~:text=Je%20ne%20te%20demande%20ni,le%20hacherais%20avec%20les%20dents

jeudi 15 mai 2025

Détestent-ils vraiment Trump autant qu’ils le prétendent ? / Do They Really Hate Trump as Much as They Say?

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Pierre Pestieau

(English version below)  

Il peut sembler surprenant, voire paradoxal, que la moitié de l’Amérique opposée à la politique de l’administration Trump — souvent plus aisée, plus instruite et davantage préoccupée par les biens publics globaux tels que la santé ou l’environnement — n’ait pas cherché à compenser, par des contributions volontaires, le retrait des financements fédéraux imposé par la présidence. Faut-il y voir une contradiction entre les discours et les actes ? Plusieurs explications structurelles, psychologiques et culturelles peuvent éclairer cette apparente inertie. Sont-elles pour autant pleinement convaincantes ?


Dans les sociétés développées, et plus particulièrement dans les démocraties sociales européennes, les citoyens ont tendance à déléguer aux institutions publiques la responsabilité de la solidarité et de la protection des biens communs. Une fois l’impôt payé, ils considèrent que la mission est accomplie. Ainsi, lorsque l’État se désengage, le réflexe d’auto-substitution ne va pas de soi. Ce schéma, cependant, est moins enraciné aux États-Unis, où la défiance envers l’État fédéral et la valorisation de l’initiative privée sont plus fortes. Cette observation affaiblit donc l’argument de la délégation morale automatique.



Plus convaincante est sans doute la difficulté bien connue en économie politique : celle de la coordination collective. Même si un grand nombre d’individus sont prêts à agir, l’absence d’un cadre organisé empêche souvent une mobilisation à grande échelle. Contrairement à l’impôt, qui repose sur une obligation universelle, les dons volontaires dépendent de l’initiative personnelle et se heurtent au problème du « passager clandestin » : chacun attend que d’autres agissent à sa place, ce qui entraîne une sous-provision chronique des biens publics. Cette dynamique est exacerbée par la dispersion des causes soutenues. Les citoyens progressistes s’engagent volontiers dans des projets locaux, militants ou sectoriels, mais il manque souvent une infrastructure commune pour canaliser ces ressources vers des objectifs globaux, comme ceux que poursuivaient certaines grandes ONG internationales.


Certes, on ne peut nier que des réactions ponctuelles ont émergé. Des plateformes telles que Planned Parenthood ou des campagnes de financement participatif ont bénéficié, sous Trump, d’un afflux de dons motivés par l’indignation. Mais ces élans sont souvent réactifs, émotionnels, et éphémères — loin d’une stratégie cohérente de remplacement du financement public à long terme.


Au fond, si l’opposition progressiste n’a pas comblé le vide laissé par le désengagement de l’État fédéral, c’est peut-être aussi parce que cette politique ne l’affecte que marginalement. Quand elle le fait, les personnes concernées se concentrent sur la résolution de leurs difficultés immédiates, sans toujours avoir les moyens ou la disponibilité d’organiser une réponse collective.


Ce constat met en lumière les limites du volontarisme individuel face au recul de l’action publique, même dans les sociétés les plus riches, les plus cultivées, et les plus engagées en apparence. Derrière la rhétorique de l’indignation, l’inertie persiste — révélant une fois encore que l’efficacité des politiques publiques ne se laisse pas aisément remplacer par la bonne volonté des individus, fussent-ils nombreux et sincères.


Pour conclure, on rappellera cette citation de Berthold Brecht :

« D’abord, ils sont venus chercher les communistes, et je n’ai rien dit — je n’étais pas communiste.
Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n’ai rien dit — je n’étais pas syndicaliste.
Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n’ai rien dit — je n’étais pas Juif.
Puis ils sont venus me chercher — et il ne restait plus personne pour protester. »

Do They Really Hate Trump as Much as They Say?

Pierre Pestieau

It may seem surprising — even paradoxical — that the half of America opposed to the Trump administration’s policies, a group generally wealthier, better educated, and more attuned to global public goods like health and the environment, did not step in to offset, through voluntary contributions, the public funding cuts implemented during his presidency. Does this reveal a gap between stated values and actual behavior? Several structural, psychological, and cultural factors may help explain this apparent inertia — but how convincing are they?


In developed societies — particularly in Europe’s social democracies — citizens traditionally delegate responsibility for the common good to public institutions. Once taxes are paid, there is a sense that one's civic duty has been fulfilled. Thus, when the state withdraws, that delegation is broken, but individuals do not necessarily respond with a reflex to substitute it through private giving. However, this logic holds less firmly in the United States, where distrust of centralized government and a strong culture of private initiative are more prevalent — which somewhat weakens the delegation argument.


 

More compelling is the classic challenge of collective action. Even when many individuals are willing to contribute, the absence of a centralized coordination mechanism often undermines effective mobilization. Unlike taxation, which applies universally, voluntary donations rely on individual initiative and are subject to the “free rider” problem: each person hopes others will contribute, resulting in the underprovision of public goods. This difficulty is compounded by the fragmentation of causes: progressive citizens tend to support local, targeted, or activist efforts, but there is often no common platform to channel resources toward global issues — the very issues that many international NGOs used to address with public support.


It is true that some responses did occur. Organizations such as Planned Parenthood and various online crowdfunding campaigns experienced a surge in donations during the Trump years. Yet these gestures were often emotional, short-lived reactions to specific policy decisions, rather than a coherent long-term strategy to replace public funding.


Ultimately, the reason progressive Americans did not step in to fill the gap left by federal disengagement may be that they were not personally affected by these policies — or when they were, their priority was simply to cope. This reality underscores the limits of individual voluntarism as a substitute for public action, even in wealthy and socially engaged societies.


Behind the rhetoric of outrage lies a deeper inertia — a reminder that collective problems rarely find adequate solutions through scattered private efforts, no matter how sincere. In the end, public policy remains difficult to replace, and moral conviction alone seldom builds institutions.


To conclude, it might be relevant to recall this citation of Berthold Brecht:

"First they came for the communists, and I did not speak out—
because I was not a communist.
Then they came for the trade unionists, and I did not speak out—
because I was not a trade unionist.
Then they came for the Jews, and I did not speak out—
because I was not a Jew.
Then they came for me—and there was no one left to speak for me."