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Numéro 79 - Avril 2010

Le bonus de pension : un cadeau empoisonné

79A la fin du mois de mars 2010, Michel Daerden, Ministre des Pensions au gouvernement fédéral, présentait son livre vert sur les pensions. Selon un communiqué de presse de Belga (25/03/2010), lors de cette présentation, «Michel Daerden a invoqué notamment les bonus pension pour inciter les gens à travailler plus longtemps. Ce système existe déjà et certains disent qu'il a échoué. Le ministre estime quant à lui qu'on manque de données statistiques précises pour juger de son impact».

Regards économiques a saisi la balle du Ministre au bond pour publier, dans sa dernière livraison, les résultats d’une étude de Marjan Maes qui démontrent, sur base d’une analyse statistique objective et rigoureuse, que le «bonus de pension» est une réforme inefficace en matière de soutenabilité financière, et relativement peu efficace en termes de relèvement de l’âge de retraite et de réduction des inégalités. La raison principale est qu’un grand nombre de travailleurs vont bénéficier du bonus sans pour autant travailler davantage, et/ou vont même partir plus tôt en retraite.

Afin de relever le taux d’emploi des travailleurs âgés, le gouvernement belge a approuvé fin 2005 une loi baptisée «Pacte de Solidarité entre Générations». Parmi les mesures mises en œuvre, le «bonus de pensio » consiste en une augmentation forfaitaire et permanente du montant de la pension légale pour les travailleurs salariés qui décident de reporter leur départ à la retraite. Le bonus a finalement été fixé à 624€ pour toute année d’activité professionnelle au-delà de 62 ans (ou au-delà d’une 44e année de carrière). Lors des négociations précédant le Pacte de Solidarité, il était question de fixer le montant du bonus à 300€ pour toute année de travail au-delà de 60 ans. C’est ce scénario initial que Marjan Maes a analysé dans son étude. Plutôt que de pénaliser la retraite anticipée, le gouvernement a donc choisi de récompenser les années de travail supplémentaires.

L’objectif de l’étude de Marjan Maes est d’évaluer les effets du «bonus de pension» sur l’âge de départ à la retraite, sur le budget des pensions et sur les inégalités au sein de la population âgée. Son second objectif est de comparer cette mesure à deux autres politiques non retenues par le gouvernement et visant à pénaliser les départs anticipés en retraite. Un premier scénario alternatif, qualifié de «malus proportionnel», consiste à pénaliser (respectivement, augmenter) la pension légale de 5 % par année de retraite anticipée avant 65 ans (respectivement, reportée après 65 ans) dans l’intervalle 60-70 ans. Les pénalisations ou gratifications sont donc proportionnelles au niveau de la pension légale. En d’autres termes, la pension prise à l’âge de 60 (respectivement 70) ans est 25 % plus basse (respectivement élevée) que si elle avait été prise à l’âge légal de 65 ans. Le second scénario alternatif, qualifié de «malus forfaitaire», consiste à ajuster la pension légale d’un montant forfaitaire pour chaque année d’écart entre l’âge de départ en retraite et 65 ans. Les pénalisations ou gratifications sont indépendantes du revenu. Elles pénalisent donc davantage les individus à bas revenu que les individus à revenu élevé. Afin de rendre ce scénario comparable avec le précédent, les montants forfaitaires ont été choisis de manière à induire le même impact budgétaire pour le gouvernement : on les calcule, pour chaque âge de retraite possible, comme la différence moyenne entre les prestations de pension en l’absence de réforme et sous le malus proportionnel.

Les résultats de Marjan Maes sont révélateurs. Le «bonus de pension» n’augmente l’âge de départ à la retraite que de 0,3 année alors que des réformes de type «malus» augmentent l’âge de départ à la retraite de 1,1 années. Par ailleurs, alors que cette mesure a été adoptée pour améliorer la soutenabilité budgétaire du régime des pensions, le «bonus de pension» a pour conséquence de creuser le budget des pensions. Les recettes fiscales supplémentaires générées par un bonus (sous forme de cotisations de sécurité sociale accrues et grâce à des périodes de retraite plus courtes) sont inférieures au montant global de bonus de pension à verser aux pensionnés pendant toute la période de leur retraite. Au contraire, les politiques de malus génèrent les effets budgétaires escomptés.

Quelle est l’intuition de ces résultats ? Les trois réformes génèrent des incitants à reporter le départ à la retraite pour un grand nombre de travailleurs âgés. Cependant, un autre effet financier est à l’œuvre qui, dans le cas du bonus, pousse les travailleurs à partir plus tôt. En effet, sans bonus, il était optimal pour certains individus de travailler au-delà de 60 ans. Comme il est impossible de discriminer entre ces individus et ceux choisissant de se retirer anticipativement, ces individus reçoivent un cadeau inespéré. L’introduction du bonus augmente le montant attendu de leur pension légale et crée un «effet de richesse» qui les pousse à consommer à se retirer plus tôt du marché du travail. En résumé, bien qu'un bonus par année de travail additionnelle incite à travailler plus longtemps, cet effet est contrebalancé par un effet-richesse qui, lui, avance l'âge de la retraite. Cet effet de richesse est important et avéré : il explique pourquoi l’introduction d’un bonus dans le régime des fonctionnaires publics en 2001 n’a pas généré la moindre augmentation de l’âge de la retraite, mais a creusé le déficit du gouvernement. A contrario, les réformes visant à pénaliser les retraites anticipées induisent un effet de richesse négatif qui contribue à retarder les départs à la pension. Par conséquent, les effets du bonus de pension sur l’âge de départ à la retraite et sur le budget sont moins favorables que ceux des pénalisations ou malus.

Comme le bonus consiste en un montant forfaitaire, le gouvernement a également mis en avant les effets redistributifs potentiels de sa politique. Pourtant, en matière d’inégalités, le bonus de pension contribue à augmenter les écarts de revenus entre les bénéficiaires d’une pension légale et les bénéficiaires de la GRAPA (Garantie de Revenu Aux Personnes Agées), étant donné que la GRAPA, en tant que système d’assistance, n’est pas affectée par les réformes de pension. Les résultats de Marjan Maes démontrent que ce sont les réformes pénalisant la retraite anticipée qui réduisent le plus les inégalités des revenus parmi les pensionnés.

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