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Focus 4 - Décembre 2012

La nouvelle loi Télécom conduira-t-elle à une baisse des prix ?

Depuis le 1er octobre dernier, une nouvelle loi «Télécom» transpose dans le droit belge une série de directives européennes visant à mieux protéger les consommateurs sur le marché des télécommunications. Une des mesures phares de cette loi est la possibilité qui est désormais donnée aux consommateurs de changer d'opérateur (téléphonie fixe ou mobile, Internet et télévision) sans frais après seulement six mois de contrat. Une autre mesure consiste à faciliter la comparaison entre les offres tarifaires des différents opérateurs (ainsi, pour ce qui est de l'Internet, les opérateurs doivent désormais afficher la vitesse de connexion réelle et non plus maximale comme auparavant).

Les pénalités encourues lorsqu'un contrat est résilié avant son terme ou la difficulté de comparer des plans tarifaires sont des exemples de «coûts de changement». Ces coûts résultent, en général, d'un investissement que vous réalisez pour le produit ou le service d'un vendeur particulier et dont vous ne pouvez pas tirer avantage si vous changez de vendeur. Pensez, par exemple, au temps qu'il vous a fallu pour apprendre à vous servir d'un certain logiciel, ou à la relation de confiance que vous avez lentement bâtie avec votre dentiste, ou encore aux habitudes que vous avez acquises à l'utilisation de tel ou tel produit. Il est fort probable que vous allez perdre tous ces bénéfices si vous décidez de changer de vendeur ou de prestataire de service.

Les coûts de changement vous rendent donc prêt à payer plus cher pour ne pas avoir à «changer de crèmerie». Il est clair que le «crémier» auquel vous êtes lié s'en frotte les mains; il peut en effet augmenter ses prix sans risquer de vous voir passer à la concurrence (il faut juste que la différence de prix ne dépasse pas vos coûts de changement). En termes plus techniques, les coûts de changement augmentent le pouvoir de monopole des firmes, c'est-à-dire leur capacité à augmenter les prix.

La nouvelle loi Télécom apparaît donc comme une bonne nouvelle pour les consommateurs puisqu'en réduisant les coûts de changement, elle contribue à éroder le pouvoir de monopole des opérateurs ou, ce qui revient au même, à intensifier la concurrence. On devrait donc s'attendre à voir le niveau des prix baisser sur le marché des télécommunications.

Malheureusement, les choses ne sont pas aussi claires. Pour comprendre pourquoi, il faut d'abord s'entendre sur ce que «prix» et «concurrence» recouvrent exactement dans les situations où les coûts de changement sont importants.

Comme illustré ci-dessus, les coûts de changement amènent les consommateurs à vouloir coordonner leurs choix de consommation dans le temps. Ils comprennent en effet que le choix qu'ils posent aujourd'hui a un impact sur les possibilités de choix qui leur seront ouvertes demain. En particulier, ils anticipent qu'une fois liés à un vendeur, ils seront, pour ainsi dire, à sa merci vu que celui-ci pourra élever ses prix en y incluant les coûts de changement. Les consommateurs réfléchiront donc à deux fois avant de s'engager dans une relation commerciale : craignant le «bâton» que constituent des prix futurs plus élevés, ils exigeront aujourd'hui une «carotte» pour accepter de se lier à un vendeur. Des prix d'entrée avantageux, un cadeau substantiel, la gratuité temporaire d'une partie des services, ... sont autant de «carottes» que proposent les vendeurs (voir ici un exemple de «carotte» offerte en décembre 2012 par un opérateur de téléphonie mobile).

C'est donc une séquence de prix (et non un prix à un moment donné du temps) qui importe pour le consommateur. Généralement, les prix seront faibles au début de la relation commerciale et élevés par la suite. De la même manière, la concurrence doit s'apprécier sur tout l'horizon de temps. Nous avons déjà montré que la concurrence est réduite une fois que les consommateurs ont décidé de se lier à un certain vendeur. Mais il ne faut pas négliger la concurrence qui se porte sur les consommateurs qui ne sont encore liés à aucun vendeur. Et cette concurrence est susceptible d'être féroce ! En effet, plus le profit que l'on peut retirer d'un consommateur est élevé (et c'est le cas quand les coûts de changement sont présents), plus il y a de raisons de se battre pour attirer ce consommateur.

Pour résumer, on peut dire qu'en présence de coûts de changement, la concurrence est forte ex ante mais est faible ex post. Les deux allant toujours en sens inverse, il faut s'attendre à des effets contrastés pour la nouvelle loi Télécom : en facilitant le changement d'opérateurs, la loi intensifie la concurrence ex post mais elle réduit aussi, inévitablement, la concurrence ex ante...

Pour savoir si, au bout du compte, les consommateurs sont gagnants ou non, il faut tenter d'estimer l'importance respective de ces deux forces contradictoires. Cette tâche est ardue parce que d'une part, les données ne sont pas faciles à collecter et que d'autre part, le traitement de ces données pose des problèmes économétriques complexes (pour plus de détails, voir l'étude menée en 2006 par l'Office of Fair Trading au Royaume-Uni).

Plusieurs auteurs ont récemment cherché à estimer l'ampleur des coûts de changement, et de leurs effets sur les prix, dans le secteur des télécommunications. Ainsi, Epling (2002) étudie la concurrence sur le marché de la téléphonie longue distance aux Etats-Unis après 1996; elle montre que les consommateurs de ces services diffèrent dans leurs coûts de changement et que ceux qui ont des coûts de changement élevés paient plus cher. Viard (2005) analyse l'impact de l'introduction de la portabilité des numéros gratuits aux Etats-Unis (qui est censée réduire les coûts de changement); il trouve que si les firmes ne sont pas en mesure de faire payer des prix différents aux consommateurs déjà liés et aux nouveaux consommateurs, alors la réduction des coûts de changement peut avoir un effet ambigu sur les prix. Kitano et Ohashi (2011) se penchent aussi sur les effets de la portabilité des numéros mais cette fois pour la téléphonie mobile au Japon en 2006; ils estiment que la portabilité des numéros a réduit les coûts de changement de 18 % et a accru la fraction de consommateurs changeant d'opérateur de 2,6 %. Enfin, Pereira et Grzybowski (2011) analysent le marché de la téléphonie mobile au Portugal et trouvent que les consommateurs y sont sensibles au prix et que les coûts de changement y sont élevés; ils estiment aussi que si les coûts de changement étaient réduits à néant, le bien-être des consommateurs augmenterait de 44,7 % sur un an.

Bref, les études passées ne nous aident guère pour prédire si les prix des télécoms vont baisser chez nous sous l'effet de la nouvelle loi. Ce qui semble clair, cependant, c'est que les opérateurs seront sous pression s'ils observent que leur clientèle se laisse plus facilement séduire par les offres concurrentes. Ce sont donc les consommateurs qui tiennent, en quelque sorte, leur avenir entre leurs mains. En changeant plus, ils intensifieront la concurrence et obtiendront, à terme, de meilleurs prix. Ce qui se passe actuellement sur le marché de la distribution d'énergie devrait nous conforter dans cette vision. Electrabel vient en effet d'annoncer une baisse substantielle de ses tarifs et on ne peut manquer d'associer cette décision à l'érosion récente de sa clientèle (un peu moins de 10 % de clients perdus en 2012 suite, notamment, à une meilleure comparabilité des prix).

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