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Numéro 83 - Décembre 2010

Le développement du marché des brevets et la problématique des patent trolls

83Au début du mois d’octobre 2010, l’entreprise Apple a été condamnée par la justice américaine à payer pas moins de 625,5 millions de dollars à la petite société Mirror Worlds, LLC pour avoir enfreint trois de ses brevets. Le géant informatique a d’ores et déjà contesté la décision. Ce récent litige ramène sur le devant de la scène les patent trolls, aussi appelés chasseurs de brevets, dont l’activité principale consiste à acquérir et/ou détenir des brevets qu’ils n’ont pas l’intention d’exploiter industriellement mais qu’ils cherchent à monnayer par le biais – de menaces – d’actions en contrefaçon. Mirror Worlds serait-il un troll ?

Qu’en est-il exactement ? Qui sont ces patent trolls ? En quoi leur activité est-elle néfaste ou bénéfique ? C’est à ces quelques questions que ce numéro de Regards Economiques se propose de répondre.

Ces questions sont liées au développement de ce qu’il est convenu d’appeler l’économie de la connaissance. Celle-ci se caractérise essentiellement par la part croissante occupée par les actifs immatériels, constitués principalement d’idées, d’inventions, de savoirs et de connaissances. Dans de telles économies où l’innovation est devenue le moteur du changement et de la croissance, il est évident qu’assurer la production et la circulation de la connaissance est d’une importance capitale. Cependant, l’organisation de ces deux activités est particulièrement difficile à mettre en œuvre et les mécanismes qui existent aujourd’hui, dont le brevet est un exemple, ne vont pas sans poser leurs propres problèmes.

Malgré ses vertus évidentes, le brevet solutionne le problème d’appropriabilité inhérent au caractère non excluable de la connaissance de manière imparfaite et génère également son lot d’effets pervers : hold-up et patent trolling en sont deux exemples. Aujourd’hui, de nombreuses innovations, surtout dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, sont dites cumulatives : elles sont basées sur – ou directement liées à – d’autres innovations. Le risque est ainsi accru pour les innovateurs de contrefaire un brevet sans s’en apercevoir. Ensuite, la nécessité de passer par une première innovation pour en créer une seconde place le premier innovateur dans une position de négociation très forte; celui-ci est en effet en mesure d’exiger le paiement de royalties très élevées au contrefacteur qui se trouve prisonnier des investissements technologiques qu’il a faits. C’est ce qu’on appelle, en termes économiques, un problème de hold-up.

Le hold-up est l’activité de base des patent trolls : ces entités acquièrent et/ou détiennent des brevets qu’elles n’ont pas l’intention d’exploiter industriellement mais qu’elles cherchent à monnayer par le biais – de menaces – d’actions en contrefaçon. Leur activité, parfaitement légale, pose question car elle entrave la circulation de la connaissance protégée par le brevet. L’environnement, politique, juridique et économique joue un rôle capital dans l’existence et le développement des trolls et explique pourquoi ceux-ci sont plus actifs outre-Atlantique : l’élargissement du champ de brevetabilité, un Office des brevets laxiste et des frais de justice élevés sont autant de facteurs qui favorisent la pratique du patent trolling.

Pour les victimes des trolls, de nombreuses solutions existent déjà aujourd’hui et l’on peut s’en réjouir : tant des initiatives privées, pour repérer et combattre les trolls, que des mouvements jurisprudentiels tentent de contenir et prévenir l’invasion. Il reste qu’une vision à long terme est nécessaire et ce numéro de Regards économiques évoque un certain nombre de solutions normatives. Nous plaidons principalement pour le développement d’un marché des brevets plus efficaces. Si les trolls peuvent agir aujourd’hui, c’est en effet parce que le marché des brevets est imparfait. En créant les conditions d’un marché efficace sur lequel les prix reflètent au mieux la valeur intrinsèque d’un brevet, l’on parviendrait à rendre la pratique du trolling moins profitable et, partant, à modérer son impact. Les inventeurs auraient, face à eux, une série d’acheteurs potentiels et feraient face à des coûts de transaction réduits. De plus, s’il était plus facile et moins coûteux pour les entreprises productrices de rechercher et d’identifier les brevets potentiellement litigieux – de supporter des coûts de recherche réduits –, les trolls perdraient un autre de leurs atouts : il deviendrait plus difficile pour eux de se cacher et d’attendre patiemment avant d’intenter une action contre le contrefacteur. Liquidité et transparence accrues sont donc les armes les plus puissantes pour mener le combat contre les trolls.

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