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Focus 7 - Février 2013

L'électricité gratuite pour les pauvres : l'illusion de la gratuité

Quel est le mécanisme proposé par le ministre wallon de l'énergie Jean-Marc Nollet ? La gratuité des 500 premiers KWh financée par une hausse du prix du KWh au delà de 500 KWh : celui qui consomme peu d'électricité est donc avantagé par rapport à celui qui en consomme beaucoup. Une mesure que l'on pourrait qualifier de «sociale» si l'on considère que les démunis consomment moins que les nantis. Une mesure que l'on pourrait qualifier d'«écologique» si l'on considère qu'elle va encourager les économies d'énergie.

La mesure est-elle écologique ? On pourrait argumenter que la mesure est écologique si elle réduit la consommation d'énergie. Mais cela semble difficile de concevoir qu'en donnant l'illusion de la gratuité on va réellement encourager les économies d'énergie. Le fond du problème est le tarif dégressif qui implique que celui qui consomme beaucoup d'électricité paye proportionnellement moins que celui qui consomme peu. Cet effet pervers en matière d'économie d'énergie est lié aux frais fixes dans la facture d'électricité qui sont indépendants du niveau de consommation (environ 100€ par an) : un petit consommateur paie la même chose qu'un gros consommateur. Donc si on veut remédier à cet effet pervers, il faut, comme le suggérait la CWaPE (le régulateur wallon) dans son rapport de juin 2010, remplacer les frais fixes dans la facture par un prix du KWh plus élevé. Tous les consommateurs seront soumis au même prix du KWh, ce qui facilite les comparaisons de tarifs entre fournisseurs et permet de faire jouer au mieux la concurrence.

L'autre argument est de savoir si cette mesure est juste socialement ? Pas sûr non plus. Pour deux raisons. Premièrement, la consommation électrique ne dépend pas que du niveau de revenu, mais également du nombre de personnes à charge dans le ménage. Et les familles nombreuses sont parfois plus fréquentes chez les pauvres. Il est à ce sujet utile de préciser que la politique de gratuité existe depuis plus de 10 ans en Flandre sous une forme différente puisqu'elle est proportionnelle au nombre de personnes dans le ménage (soit 100 euros par membre du ménage). Cette gratuité est en bonne partie répercutée sur les coûts (fixes) de distribution qui représentent presque la moitié de la facture électrique en Flandre. On reprend donc d'une main ce que l'on a donné de l'autre.

Deuxièmement, la formule profite à ceux qui ont les moyens de faire des économies d'énergie. En effet, les économies d'énergie coûtent cher, impliquent des investissements souvent lourds et qu'il faut amortir. Le pauvre n'a ni panneaux photovoltaïques, ni chauffe-eau solaire, ni chaudière à condensation, ni pompe à chaleur, ni maison passive, parfois même pas de double vitrage, ni d'électroménager classe A++ ou de lampes à faible consommation. Le pauvre n'a pas les moyens d'économiser l'énergie, le pauvre n'a en définitive que le choix entre consommer cher ou ne pas consommer du tout. De vastes maisons récentes consomment moins d'énergie qu'une cage à poule d'immeuble social. Sans une analyse préalable rigoureuse de la consommation électrique récente en fonction du revenu du ménage, il est donc impossible de conclure que la gratuité des 500KWh pour tous est une politique qui profite véritablement aux pauvres.

Avec mon collègue (Vincent Bodart), nous avons calculé (dans un numéro à paraître de Regards économiques) que la hausse des prix de l'énergie a touché principalement les pauvres et les personnes âgées. Nous avons montré que ces hausses sont le principal facteur de baisse du pouvoir d'achat des groupes les plus vulnérables. Nous avons aussi montré que l'indexation des pensions et des allocation sociales était insuffisante pour enrayer cette érosion du pouvoir d'achat liée à la hausse des prix de l'énergie.

Ce qui nous amène au cœur de la question. La véritable raison de cette flambée des prix de l'électricité est la facture de 2,5 milliards d'euros due à la mauvaise gestion des subsides à l'énergie verte (cf. le Rapport annuel spécifique 2011 de la CWaPE sur l'évolution du marché des certificats verts). Une note colossale qui se ressent déjà dans les factures des entreprises et des clients résidentiels (via la hausse des coûts de transport).

Deux milliards et demi d'euros. Les entreprises et les clients résidentiels du sud du royaume ont commencé à payer la note. Via la facture d'électricité : le 1er octobre dernier, Elia, le gestionnaire du réseau haute tension, a multiplié par cinq «le tarif de transport pour l'obligation de service public pour le financement des mesures de soutien aux énergies renouvelables en Wallonie». Et le 1er janvier dernier, le gestionnaire a encore dû le doubler. Depuis septembre, ce tarif est donc passé de 1,1889 euro par MWh à 13,8159 euros par MWh.

Le ministre de l'énergie Mr Nollet offre une illusion de gratuité pour tous à un moment où le prix de l'électricité n'a jamais été aussi élevé en partie suite à une gestion catastrophique de la politique énergétique en Belgique. Il serait préférable d'entamer une réforme profonde qui passerait notamment par une meilleure mutualisation entre producteurs et consommateurs du coût des subsides à l'énergie verte et une plus grande transparence dans les frais de distribution et dans la gestion des intercommunales. Selon les estimations du régulateur régional (CWaPE) et du régulateur fédéral (CREG), les certificats verts, un mécanisme de soutien aux énergies renouvelables, engendrent des surcoûts de facture de plus en plus importants et la note électrique va gonfler de 10 à 25 % en 2013 en Wallonie.

Comme le faisait remarquer l'Institut Itinera fin 2012, l'augmentation des prix de l'électricité ces dernières années résulte pour 75 % d'impôts et de coûts de distribution plus élevés. Les coûts de distribution ont augmenté en raison de choix politiques qui consistent à transférer dans la facture d'électricité le coût des énergies renouvelables, des économies d'énergie, des mesures sociales, du soi-disant «KWh gratuit» et ainsi de suite. Actuellement, la part du produit électricité représente seulement 38 % de la facture d'électricité. Les frais de distribution représentent à eux seuls 35 % du coût et cette distribution est aux mains des intercommunales dont la gestion manque cruellement de transparence. La solution n'est pas une mesure médiatique comme le gel temporaire des prix ou le KWh gratuit, mais un effort systématique pour rendre la facture énergétique plus transparente et moins onéreuse que dans les pays voisins. L'électricité est, toutes taxes comprises, 1,5 fois plus chère en Belgique qu'en France ou en Angleterre (21 eurocents/KWh contre 14 eurocents/KWh, voir le rapport IFRI de novembre 2011).

En matière de politique environnementale, on pourrait s'inspirer du Danemark où les taxes vertes visent à financer en priorité les mesures d'efficacité énergétique : aides à l'isolation des bâtiments ou au remplacement des équipements énergivores. Chez nous, c'est l'inverse : on pose du photovoltaïque avant d'isoler les toitures.

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